9 minutes

REGARDS INTERPRO : LES PHARMACIENS RACONTENT LEUR CPTS

Partagez cet article

Parce que l’un des plus grands défis à relever pour que les CPTS soient une réussite est la coordination interprofessionnelle : apprendre à travailler ensemble, partager l’information, collaborer de manière fluide… C’est pourquoi, nous lançons une nouvelle série d’interviews pour mettre en avant les points de vue des différentes professions de santé. Pour inaugurer cette  série, nous commençons par nos les pharmaciens. 

Caroline Fourcade et Laurent Guillerault, docteurs en pharmacie, sont tous deux engagés dans leur projet de CPTS, respectivement en tant que présidente de la CPTS du Comtat Venaissin et secrétaire général de la CPTS du pays de Martigues. Profondément convaincus des limites de l’exercice isolé, ces deux pharmaciens témoignent de leur expérience conjointe aux côtés des médecins libéraux et d’autres professionnels de santé dans la construction de leurs communautés, chacune étant en passe de signer l’ACI.

Pourquoi avez-vous décidé d’intégrer une CPTS ? 

Caroline Fourcade

En tant que pharmacienne, je pense qu’il est important d’intégrer une CPTS pour développer l’inter-professionnalité et valoriser notre métier. La coordination et la collaboration sont l’avenir des métiers des professionnels de santé. L’exercice isolé ne correspond plus à notre société contemporaine, il nous faut vraiment avoir une vision globale du patient et de son parcours.

Laurent Guillerault

Je rejoins complètement ce que dit Caroline, et c’est une réponse à une 2ème problématique à laquelle nous sommes confrontés : la démographie médicale. Aujourd’hui on a une démographie concernant les médecins généralistes qui s’étiole progressivement, d’environ 8% par an et ce au moins jusqu’à 2035. Au mieux, en 2040 on aura retrouvé le niveau de 2015, donc il faut donc réagir et surtout agir.

À quelles difficultés avez-vous été confrontés durant la constitution du projet ?

C.F

Au départ, nos difficultés ont été de fédérer les professionnels de santé autour du projet de santé commun. Les pharmaciens travaillent souvent en groupe, mais en interne. C’est-à-dire entre pharmaciens, et il fallait vraiment une ouverture vers les autres professionnels de santé pour améliorer la prise en charge du patient. Il est important de mettre en lumière la complémentarité de nos compétences : faire accepter aux autres professionnels nos savoir-faire et à l’inverse, que nous acceptions les savoir-faire des autres.

 

L.G

Tout à fait ! Et j’ajouterai que pour l’instant la difficulté c’est de faire adhérer nos confrères médecins à un projet où, pour l’heure, ils n’ont pas du tout de vision systémique. Je dis ça dans le sens où pour le moment le soin coordonné est quelque chose de complètement abstrait.

Nous sommes dans un entre deux générationnel, où les personnes qui ont 15 ans d’exercice ou plus ne se sentent pas nécessairement concernées. Cela s’explique par le fait que leur cabinet soit souvent complet. Ils n’ont pas besoin de rejoindre ce genre de projet si ce n’est pour l’amélioration de leur exercice au quotidien, alors qu’ils y ont déjà remédié de leur côté.

D’autres en revanche, et on le voit beaucoup chez les jeunes générations, sont plutôt sensibles à ça parce qu’ils ont perçu qu’à travers la CPTS, et l’exercice coordonné, on peut réellement apporter quelque chose, changer les choses. On peut être une sorte de société experte et ça, ça fédère beaucoup.

Quel intérêt pour un pharmacien à intégrer une CPTS ?

C.F

C’est vraiment d’être intégré dans une boucle de coordination. De pouvoir valoriser ce qu’on fait, de pouvoir apporter nos compétences et notre plus-value aux autres. Après il y aura aussi les ROSP (Rémunération sur Objectif de Santé Publique) et les futures missions qui seront attribuées concrètement aux pharmaciens quand on sera adhérent d’une CPTS.

Nous sommes quand même présents 24h/24 7j/7 ; et le premier lieu de conseils et de recommandations pour le patient. Nous avons une meilleure reconnaissance du métier par le patient parce que nous le voyons souvent et que nous avons un fort maillage territorial. C’est aussi un avantage pour le suivi puisqu’avec les CPTS nous allons faire des bilans partagés de médication et nous pourrons devenir pharmacien référent à l’instar du médecin traitant.

Pourquoi une collaboration plus étroite entre pharmaciens et médecins est-elle si importante ?

L.G

C’est l’enjeu du virage de la médecine ambulatoire de Ma santé 2022. C’est-à-dire que les premiers recours seront le pharmacien et l’infirmier libéral. Car dans une ville de 20 000 habitants, là où il y avait 15 médecins il y a 10 ans, il n’y en a plus que 10 aujourd’hui. Et il n’y en aura plus que 5 l’année prochaine !

Cela bouleverse les habitudes de consultation et les habitudes du parcours de soins. À partir du moment où l’offre de soins est extrêmement diminuée, il nous faut nous inscrire dans du premier recours évolué, plus seulement comme du premier recours d’automédication comme c’est le cas aujourd’hui.

C.F

Et puis, plus on collabore, plus on se comprend, plus on améliore les pratiques professionnelles. Ça limite les incidents de parcours avec le renoncement aux soins, les ruptures de traitement, le glissement des fragilités, la précarité…

Parce que si le médecin fait des ordonnances pour 6 mois, il verra son patient une fois tous les 6 mois. Nous en principe nous le verrons au minimum une fois par mois, c’est ce qui fait que nous avons des relations privilégiées avec lui. Et si nous intégrons en plus les infirmiers et les kinés là c’est le quatuor gagnant ! Car les CPTS sont faites pour recentrer l’équipe de soins autour du patient.

Avez-vous eu des difficultés dans le choix de votre statut ?

C.F

Non car nous avons été accompagnés.

L.G

Il faut savoir que la trame est relativement simple, c’est une association loi 1901 avec un projet de santé. Donc à partir du projet de santé, les gens n’ont plus qu’à se structurer en groupes de travail autour des missions socles de la CPTS, c’est facile ! La difficulté c’est la communication et l’utilisation des outils numériques.

Par exemple nous avons créé notre propre site internet collaboratif, et nous avons ensuite créé 2 outils : un planning partagé sur lequel chaque professionnel de santé peut se positionner soit sur des soins non programmés ou de l’astreinte, soit sur des missions particulières. Et ensuite nous avons l’outil Globule qui nous permet de nous coordonner entre professionnels de santé.

Qu’est-ce que ça a changé pour vous d’intégrer une CPTS ?

À l’unisson

C’est la fin de l’exercice isolé !

L.G

99% de ce qu’a apporté la CPTS aujourd’hui, c’est du relationnel. C’est-à-dire qu’aujourd’hui nous rencontrons des personnes dont on voyait seulement le nom sur des ordonnances depuis des années. Moi j’ai rencontré des gens extrêmement charmants, avenants et très cordiaux, que je n’avais qu’au téléphone. Ça nous a permis de créer un lien extraordinaire sur le territoire.

C.F

Surtout qu’au niveau national on est plus représenté grâce aux CPTS, et ça c’est important. Parce qu’il y a aussi un réel besoin à ce niveau-là : lors de notre dernière réunion de présentation, nous avions réuni 100% des pharmaciens ! Et c’est vrai que c’est important de voir à qui nous nous adressons, et de constater que nous sommes tous dans le même bateau.

L.G

La vraie question aujourd’hui des CPTS c’est comment nous, porteurs de projets, on peut vous aider, au sein d’une équipe de soins primaires supportée par une CPTS, pour améliorer votre exercice quotidien.

Avez-vous de nouveaux projets en tête pour votre structure au-delà des missions socles ?

C.F

Les CPTS, de toute façon, sont amenées à évoluer au fur et à mesure. Elles vont faire émerger d’autres projets en fonction de ce que les autres professionnels vont pouvoir nous apporter, avec par exemple une 2e vague de fiches action comme l’inclusion des personnes en situation de handicap par exemple. On peut faire tellement de choses avec tout ce que les professionnels peuvent nous apporter ! Parce que le bureau et le conseil d’administration pensent à des fiches actions avec les missions socle, mais il y a tellement de choses à faire avec toute la richesse que chaque professionnel de santé peut apporter qu’on peut vraiment évoluer sur de très belles choses.

L.G

Moi ce que je souhaite c’est que les tutelles s’emparent de la problématique de l’action efficace des CPTS, et qu’elles nous donnent réellement les moyens agir, pour faire en sorte que ce ne soit pas des coquilles vides. Parce que c’est une volonté politique qui doit diriger la politique de santé territoriale, si on ne nous donne pas les moyens de le faire ça va être compliqué.

Est-ce qu’il y a des pourparlers en cours pour simplifier les démarches ?

L.G

C’est compliqué mais on sent que ça bouge. Et puis après il y a toujours l’arrière garde qui surveille son pré-carré, ce qui est normal. Les gens ont acquis des avantages au cours des années qu’ils n’ont pas envie de perdre ou de faire évoluer car cette situation leur convient.

Je parle des tutelles, de nos confrères médecins, infirmiers… qui sont sur un statuquo, qui même s’il n’est pas parfait, fonctionne encore pour l’instant. Donc pourquoi changer ?

Je milite pour ça c’est pour ça que j’ai intégré un projet CPTS. Après l’évolution législative est progressive.

C.F

On avance par petits pas, mais on va y arriver. Il ne faut pas qu’on devienne trop administratifs, trop carrés, il faut agir et qu’on laisse place à la liberté des gens, la liberté de penser, la liberté d’action, justement pour que toute cette richesse que les professionnels peuvent amener enrichisse notre projet et que ça devienne une belle CPTS.

Regards pharmaciens CPTS

Sur le même sujet